Une impérieuse envie de voyager

  • L’industrie du voyage a connu – dans l’ensemble – un fort rebond boursier cette année
  • Les tendances actuelles sont clairement porteuses, tant en termes de demande que de prix
  • Mais avec un ciel appelé à s’assombrir, les investisseurs se doivent d’être sélectifs

En cet été 2023, l’industrie du voyage est en ébullition. Forte reprise de la demande, réservations qui battent des records, réouverture de la Chine, « pricing power » retrouvé : la majorité des sociétés affichent aujourd’hui des marges équivalentes ou meilleures qu’avant la pandémie. Attention cependant à ne pas s’abandonner totalement à l’euphorie ambiante. Dans un monde de taux élevés, avec une économie en ralentissement, la demande est appelée à s’éroder. Il s’agit donc de faire preuve de sélectivité dans le choix des investissements, en privilégiant les sociétés de niche et celles dont le modèle d’affaires conjugue faible intensité en capital, bilans sains et forte génération de liquidités.

Si les vents de court terme sont très porteurs, permettant aux compagnies aériennes, aux opérateurs de croisière, aux hôtels et casinos, ou encore aux plateformes de réservations d’afficher une nette surperformance boursière depuis le début de l’année, rien n’assure en effet que le rallye se poursuive de manière aussi généralisée. N’oublions pas que certaines sociétés du secteur ont, dans un passé récent, frôlé la faillite pour cause de levier excessif – Carnival dans les croisières par exemple. Ou que d’autres ont des marges toujours largement en deçà des niveaux pré-covid, et ce pour de bonnes raisons.

Bref, il y a clairement de la valeur à trouver tout au long de la chaîne de valeur des voyages, à condition de bien trier le bon grain de l’ivraie. Ainsi, parmi les compagnies aériennes, nous restons à l’écart des opérateurs classiques de vols long courrier, leur préférant nettement les compagnies « low cost ». Une catégorie dans laquelle Ryanair mène le bal, même si WizzAir semble présenter un potentiel assez intéressant à court terme, pour avoir été particulièrement touché par le conflit Russo-Ukrainien (vu son importante clientèle en l’Europe de l’Est). Dans les croisières, c’est Royal Caribbean qui fait figure de « best in class », mais le levier prononcé qui caractérise l’ensemble du segment est un frein à nos yeux.
D’ailleurs, malgré la forte demande dont ils bénéficient actuellement, tant les compagnies aériennes que les opérateurs de croisières nous semblent moins intéressants – sur un horizon moyen terme – que des sociétés dites « asset light », c’est-à-dire opérant avec une intensité en capital moindre. Les plateformes de réservation notamment, comme Booking Holdings, Airbnb Inc. ou encore Amadeus IT Group, ou encore le segment des services de restauration, avec des bénéficiaires indirects comme Edenred ou Compass.

Les hôtels profitent pour leur part non seulement de la reprise de la demande de particuliers, mais également de celle des voyageurs d’affaires. Les marques fortes dans le haut-de-gamme interpellent particulièrement, à savoir Hilton, Intercontinental et Marriott.

Tout en amont de la chaîne de valeur des voyages, citons encore le segment de l’aérospatiale, au travers d’équipementiers comme Safran qui jouissent de barrières à l’entrée très élevées et d’une importante contribution des services de maintenance, à forte rentabilité. Le segment de l’infrastructure, plus défensif, apparaît aussi intéressant, à l’image de Vinci, Ferrovial ou Flughafen ZH.

Difficile de prédire combien de temps durera cette frénésie du voyage. Les ménages disposent certes encore d’une épargne accumulée durant la période du Covid, mais les nuages conjoncturels qui s’amoncellent à l’horizon pourraient bien finir par freiner leur appétit.

Tandis que du côté de l’offre, outre une charge de la dette qui va grandissant pour les segments à forte intensité en capital, toute l’industrie fait face à des difficultés pour recruter suffisamment de personnel et, pourtant, à une inflation des salaires.
Gare donc à la fin des beaux jours !

Ecrit par Sandro Occhilupo, Responsable de la gestion discrétionnaire

Adieu récession, bonjour à un atterrissage en douceur

Malgré les risques latents de récession, les chances d’un atterrissage en douceur sur le plan mondial se sont encore accrues avec une activité américaine plus résiliente que prévu, une inflation en deçà de son pic et des banques centrales proches de leur fermeté maximale. En revanche, la reprise qui a suivi l’ouverture de la Chine s’essouffle déjà, requérant un soutien supplémentaire des autorités, tandis que la croissance européenne continue de ralentir selon l’indice PMI flash de juillet – bien que la récession redoutée et l’assèchement du crédit associé soient probablement repoussés. Cela suggère que les banques centrales vont faire une pause, mais bien du chemin reste à parcourir avant qu’elles ne pivotent.

Malgré un risque baissier que nous jugeons toujours limité, avec un « pain trade » orienté à la hausse pour la plupart des investisseurs, les bourses mondiales, et en particulier américaines, semblent chères selon presque tous les critères, pesant fortement sur leur attrait relatif dans le contexte actuel de rendements meilleurs sur les obligations et liquidités. Il est toutefois intéressant de constater que, une fois le couvercle soulevé, les multiples ne sont pas tous si tendus. En dehors des États-Unis, ou plus précisément des segments de croissance du marché américain, le panorama est meilleur. S’agissant des critiques relatives à l’étroitesse du marché, nous constatons que la participation s’est améliorée dernièrement, comme nous l’avions prévu. Une convergence progressive et non linéaire des actions au sein des indices dans les prochains mois devrait amener de nouvelles rotations de facteurs/styles/secteurs. En d’autres termes, nous voyons encore aujourd’hui des poches de valeur attrayantes dans les actions, mais il s’agit de faire preuve d’agilité et de sélectivité. Les valorisations peu attrayantes et les indicateurs de sentiment tendus à court terme incitant toujours à la prudence, notamment en raison de la visibilité économique limitée, nous conservons notre position globalement neutre sur les actions.

Dans les obligations, nous restons légèrement sous-pondérés, avec des risques de duration et de crédit contenus. Si la duration des obligations d’État peut contribuer à atténuer les pertes boursières liées à une récession des bénéfices, nous doutons de leur capacité à servir de coussin dans notre scénario d’inflation persistante, de politique monétaire restant ferme et de récession de moindre gravité. En outre, les liquidités offrent un rendement supérieur à celui des obligations de long terme et constituent sans aucun doute l’actif le moins corrélé… D’autres méthodes de couverture, telles que les « puts spreads » sur indices boursiers, peuvent s’avérer plus efficaces. Pourtant, nous préférons toujours les instruments liquides et la partie courte de la courbe (par rapport aux obligations de longue échéance) compte tenu de la forte inversion des rendements et de la persistance de l’inflation. Enfin, nous préférons les entreprises aux obligations souveraines en Europe, car les valorisations restent moins chères qu’aux États-Unis, et nous continuons à cibler la partie supérieure du spectre du crédit.

Ailleurs, nous maintenons notre légère surpondération de l’or et légère sous-pondération des autres matériaux. Ces deux secteurs sont confrontés à des risques cycliques baissiers (taux réels plus élevés pour l’or et ralentissement conjoncturel pour l’énergie et les métaux industriels), mais bénéficient aussi de tendances structurelles favorables: manque global d’investissement dans un contexte de demande croissante liée à la géopolitique (dé-mondialisation et dé-dollarisation progressive), inflation supérieure aux objectifs des banques centrales, et transition énergétique.

Enfin, nous constatons aujourd’hui un absence de direction pour les principales devises au cours des prochains mois, dans ce qui reste un scénario de croissance mondiale faible mais positive, sans divergences significatives en matière de politique monétaire. Dans ce contexte, nous ne considérons pas la récente faiblesse de l’USD comme inquiétante. Nous n’anticipons pas de changement de cap prochain par la Fed, la croissance américaine semble plus résiliente et il n’y a pas de meilleures alternatives en tant que monnaie de réserve mondiale à court terme (nous ne prévoyons pas d’appréciation globale de l’euro ou du renminbi chinois). D’un point de vue structurel, le franc suisse reste notre monnaie préférée, soutenue par des fondamentaux toujours aussi solides.

Ecrit par Fabrizio Quirighetti, CIO & Responsable des stratégies multi-asset et obligataires

External sources include: Refinitiv Datastream, Bloomberg, FactSet, Goldman Sachs, Statista, World of Statistics